Alors que le gouvernement projette de réduire les aides, un séminaire organisé le 12 novembre a permis de dresser un bilan des réussites et des défis de l’apprentissage six ans après la réforme de 2018, tout en ouvrant des perspectives pour améliorer son efficacité en maîtrisant la dépense publique.
Organisée conjointement par le ministère de l’Économie et le ministère du Travail, la nouvelle édition du séminaire dédié aux politiques de l’emploi a offert un éclairage à la fois économique et juridique sur les évolutions de l’apprentissage en France.
La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a profondément transformé l’apprentissage, en relevant le plafond d’âge de 26 à 29 ans révolus et en modifiant les aides aux employeurs ainsi que le financement des CFA. Cette réforme a créé un véritable marché de l’apprentissage. Selon Jean-Pierre Willems, consultant en droit de formation : "La logique est passée de l’offre à la demande. Il n’y a pas d’apprentissage sans besoin d’une entreprise."
Cette dynamique s’illustre par des initiatives comme celle du groupe L’Oréal qui a pu, grâce aux évolutions de la loi de 2018, créer une école et une formation postbac sur-mesure à la coiffure et à l’entreprenariat pour combler les besoins de main-d'œuvre.
Sous l’effet de ces changements réglementaires et avec l’aide exceptionnelle à l’apprentissage instaurée en 2020, l’apprentissage a connu une forte augmentation. Selon les données de la Dares, le nombre d’entrées en apprentissage a triplé entre 2017 et 2023, passant de 300 000 à près de 900 000.
Cette explosion semble avoir un effet favorable sur l’insertion professionnelle des jeunes avec 35 % des 15-24 ans actuellement en emploi. Pour beaucoup, le contrat d’apprentissage est un premier pas réussi vers l’emploi.
Malgré ces résultats encourageants, le développement de l’apprentissage soulève de nouveaux enjeux. D’une part, l’essor de l’apprentissage concerne avant tout les niveaux de diplôme les plus élevés, avec pour conséquence une diminution de la part d’apprentis préparant un diplôme de niveau équivalent ou inférieur au baccalauréat (de 53 % en 2019 à 36 % en 2024).
D’autre part, les dépenses publiques mobilisées pour l’apprentissage ont nettement augmenté, passant de 5,8 milliards d’euros en 2018 à 13,5 milliards en 2022. Pour Pierre Cahuc, cette envolée suscite des interrogations sur la soutenabilité du dispositif. "Cette évolution est problématique à plusieurs égards : le coût annuel pour les élèves du supérieur est extrêmement élevé alors que les effets d’emploi sont moindres, la promotion sociale permise par l’apprentissage est limitée, la rétention dans les entreprises de formation baisse car la durée des diplômes s’est raccourcie et l’image de l’apprentissage se déplace dans le tertiaire quand ce sont les métiers en tension qui ont besoin d’être valorisés."
Par ailleurs, l’Unédic constate que de plus en plus d’apprentis entrent à l'assurance chômage. En 2023, 165 000 ouvertures de droits ont été recensées pour les sortants d’apprentissage. L’association estime qu’1 apprenti sur 5 arrive au chômage après son apprentissage, et s’attend à ce que ces effectifs continuent à augmenter.
Les ruptures de contrats sont également un sujet de préoccupation, surtout pour les apprentis de niveau CAP, dont 42 % voient leur contrat rompu avant la fin, contre 27 % pour les Bac + 2, selon une étude de la Dares.
Face à ces défis, plusieurs recommandations émergent pour assurer la pérennité du système d’apprentissage et optimiser son efficacité.
Les experts préconisent de recentrer l’apprentissage sur l’enseignement secondaire, car les difficultés d'insertion concernent principalement les moins qualifiés. En comparaison, le taux de chômage des diplômés de l’université est relativement faible à partir de 27 ans (entre 5 et 6 %).
Pour mesurer les effets de l’apprentissage, un suivi des parcours en temps réel est à construire. Pour Jean-Pierre Willems, il faudrait même élargir les critères : ne pas se contenter de mesurer l'insertion professionnelle, mais évaluer aussi l’effet de transformation sur le système éducatif.
Il est proposé de renforcer le maillage école-entreprise pour réorienter l’offre de formation dans l’enseignement professionnel vers les métiers qui peinent à recruter.
L’expérimentation "Avenir Pro", menée dans 300 lycées professionnels, illustre l’efficacité d’une telle approche : grâce aux interventions régulières de France Travail dans les classes de terminales pour des ateliers de préparation ou des rencontres avec les entreprises, le taux d’emploi des jeunes, six mois après de la fin de l’année scolaire, a progressé de 45 %.
L’apprentissage est de plus en plus sollicité dans le contexte des reconversions professionnelles. En faire un dispositif de formation tout au long de la vie pourrait ouvrir de nouvelles perspectives !
Cariforef des Pays de la Loire, novembre 2024