15/12/2025

O2R : après la détention, des personnes « pilotes » de leur réinsertion

L’appel à manifestation d’intérêt Offre de repérage et de remobilisation (O2R) soutient des projets destinés à des publics très divers, en proposant des solutions adaptées pour faciliter leur insertion professionnelle. L’association Permis de Construire 44 accompagne ainsi des personnes sous main de justice, en les plaçant aux manettes de leur réinsertion.

Créée à Nantes, Permis de Construire 44 agit depuis plusieurs années auprès des personnes en parcours de sortie de détention, pour restaurer la confiance, redonner une place dans la société, et accompagner vers la remobilisation professionnelle et l’emploi. 

Grâce à son statut de lauréate de l’AMI O2R, l’association renforce sa capacité à repérer les personnes en amont de leur sortie et à maintenir un lien après la reprise d’activité. Entre innovations pédagogiques et partenariats renforcés avec France Travail, les conseillers justice ou les Missions locales, Permis de Construire déploie une approche à la fois concrète et humaine. Rencontre avec Emmanuelle Beauchêne, directrice de la l’association, et Anne Bertout, chargée des relations entreprise et de l’insertion professionnelle.

Comment est né votre engagement dans ce projet O2R ?

Nous accompagnons depuis longtemps des personnes en sortie de détention, à travers différents projets de remobilisation. Quand l’appel à manifestation d’intérêt est paru, nous y avons vu l’opportunité de donner une nouvelle dimension à nos actions. 

L’offre de repérage et de remobilisation nous permet de mieux structurer le parcours des personnes que nous appelons “pilotes” : du repérage en détention à la stabilisation de l’emploi, en passant par des temps collectifs qui redonnent confiance. C’est un cadre qui nous aide aussi à consolider nos liens avec les acteurs de l’emploi.

Que recouvre ce terme de « pilotes » ? 

C’est le mot que nous avons choisi pour désigner les personnes accompagnées, parce que ce sont elles qui pilotent leur parcours. 

Notre rôle, c’est d’être copilotes : on guide, on soutient, mais on ne décide pas à leur place. Ce vocabulaire reflète bien notre philosophie d’accompagnement fondée sur la confiance, l’autonomie, le pouvoir d’agir et la responsabilité.

Comment identifiez-vous les personnes à accompagner ?

Le repérage des personnes s’appuie d’abord sur notre ancrage territorial et les nombreux relais que nous avons tissés au fil du temps. Les personnes peuvent être orientées par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ou les Conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), avec qui nous entretenons un dialogue régulier autour des sorties de détention. D’autres arrivent par le biais des centres d’hébergement, des accueils de jour, ou encore des chantiers d’insertion, qui repèrent des personnes prêtes à entamer une nouvelle étape de leur parcours. 

Nous misons aussi beaucoup sur le bouche-à-oreille, notamment grâce aux pilotes eux-mêmes, qui transmettent leur expérience et recommandent notre accompagnement à d’autres personnes. Une communication locale auprès des partenaires et des structures qui nous connaissent bien renforce également ce repérage. Ces relais sont essentiels pour toucher un public parfois en retrait des dispositifs classiques. Nos financeurs et partenaires associatifs contribuent aussi à faire connaître notre action. 

Enfin, le travail mené avec France Travail — et plus spécifiquement les conseillers justice — vient compléter ce dispositif. Ces échanges permettent d’identifier des personnes encore en détention ou récemment sorties, et de leur proposer un accompagnement adapté à leur situation.

Quelles sont les spécificités de la phase de remobilisation dans votre projet ?

La remobilisation repose avant tout sur le collectif et la mise en action. Nous partons toujours des envies et des compétences des personnes : c’est en faisant ensemble que la confiance revient. 

Notre lieu, Le Ripaillon, joue un rôle central. C’est à la fois un café solidaire, un dressing solidaire et une micro-bibliothèque dans un espace d’activités ouvert sur le quartier. On y vient pour donner un coup de main, échanger, participer à un atelier ou simplement boire un café. Ce lieu de vie permet de créer du lien social et de redonner une place à chacun dans un collectif. 

Nous proposons aussi des actions collectives très variées : un atelier théâtre, un « journal-expo » où les participants racontent leur parcours et leurs expériences, ou encore des cafés emploi pour rencontrer des professionnels et découvrir des métiers. 

Ces activités ont toutes un objectif commun : remobiliser par l’expérience vécue, en s’appuyant sur les forces et les talents de chacun plutôt que sur leurs manques. 

La dimension ludique et participative est également au cœur du projet. Nous avons par exemple co-construit avec les pilotes un jeu de société grandeur nature, « Permis de se reconstruire », inspiré du jeu de l’oie. Chaque case correspond à une étape du parcours de réinsertion : emploi, logement, santé, vie quotidienne… Les cartes de jeu s’appuient sur des témoignages réels ou des mises en situation, pour inviter à l’échange et à la réflexion. 

Les pilotes qui animent ces séances deviennent acteurs de leur propre parcours : ils reprennent confiance, partagent leur expérience, et endossent un rôle valorisant au sein du groupe. 

Enfin, nous travaillons beaucoup sur le lien vers l’insertion professionnelle. Cela passe par des visites d’entreprises, des rencontres avec des employeurs, ou des immersions courtes sur le terrain. L’idée, c’est de permettre aux personnes de se projeter concrètement dans une nouvelle étape de leur parcours.

L’accompagnement s’arrête-t-il lorsque la personne retrouve un emploi ?

Non, au contraire. Nous assurons un suivi sur les 6 premiers mois de contrat, en lien avec l’entreprise et parfois avec le travailleur social. 

Des rencontres tripartites sont organisées régulièrement pour consolider la prise de poste, prévenir les difficultés éventuelles et sécuriser le parcours dans la durée. 

C’est une démarche rassurante pour tout le monde : la personne sait qu’elle n’est pas seule, et l’employeur se sent soutenu. Ce suivi post-embauche fait vraiment partie de l’ADN de notre projet.

Comment O2R a-t-il fait évoluer vos partenariats ?

O2R nous a permis de renforcer nos liens avec France Travail, notamment via les conseillers justice, qui sont désormais des interlocuteurs réguliers. 

Nous travaillons aussi à mieux articuler nos actions avec les Missions locales, les Unités emploi du département et Cap Emploi, afin que les personnes puissent bénéficier d’un accompagnement fluide quel que soit leur statut. 

L’intégration au Collectif Emploi de Nantes a été un vrai levier pour la visibilité et la coopération : cela nous permet d’échanger avec d’autres structures d’insertion, de mieux comprendre leurs besoins et d’ajuster nos pratiques.

Quels challenges reste-t-il à relever ?

Le principal enjeu, c’est de poursuivre le travail d’interconnaissance avec les acteurs de l’emploi. Nous voulons que chacun sache précisément qui fait quoi, pour éviter les ruptures dans les parcours. 

Nous souhaitons également continuer à partager nos pratiques entre lauréats O2R, notamment sur des sujets qui interrogent tout le monde : la question de la rémunération des personnes accompagnées, les limites du repérage ou encore la place des partenaires dans la remobilisation. Ces échanges nourrissent notre action et renforcent la cohérence du réseau.

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