Comment mobiliser les publics en formation ? Les propositions d’André Chauvet



Le consultant spécialiste de l’orientation professionnelle s’est récemment exprimé à Nantes dans le cadre d’une journée régionale consacrée à la formation dans les Structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Pour André Chauvet, la prise en compte des attentes de la personne formée, dans un environnement de travail où les codes ont changé, est plus cruciale que jamais.

La Fédération des entreprises d’insertion Pays de la Loire et Chantier école Pays de la Loire organisaient, le 26 septembre dernier, un événement régional intitulé "La formation au cœur des SIAE, retour d'expérimentations". Au terme d’une journée riche en débats et en témoignages, c’est André Chauvet qui était invité à s’exprimer au sujet de la mobilisation des publics en formation et vers l’emploi.

"Tout fonctionne plutôt bien dans ce que vous avez présenté aujourd’hui", a-t-il prévenu d’emblée, avant d’inviter l’assistance à effectuer un léger pas de côté, en interrogeant les évolutions du marché du travail et ses impacts sur la manière d’appréhender la formation et l’emploi.

 

Des rapports de forces qui s’inversent dans le monde du travail

Pour André Chauvet, avant de s’interroger sur la manière dont il faut mobiliser les publics, il est nécessaire de prendre conscience des transformations en cours sur le marché du travail. "Nous avons aujourd’hui un ministère du Travail mais aussi du Plein emploi, ce qui était quand même assez improbable il y a cinq ans" a-t-il ainsi rappelé. "La configuration actuelle fait qu’il y a un certain nombre de dogmes et de croyances bien installés qui sont interrogés, voire bouleversés."

L’expert en transitions professionnelles a exposé que depuis plusieurs décennies, les questions d’accès à l’emploi se fondaient surtout sur le concept d’employabilité. Pour résumer, il fallait développer des compétences pour accéder au sésame de l’employabilité selon des critères fixés par l’employeur. Aujourd’hui, la donne est en train de changer. "Un salarié potentiel est regardé différemment, et à partir du moment où il est regardé différemment, sa capacité de négociation et de transaction est bouleversée", selon André Chauvet, qui estime qu’aujourd’hui, l’enjeu principal pour la personne en formation ou en emploi est d’être considérée comme étant unique et ayant de la valeur si on lui donne l’occasion de faire ses preuves. 

De quoi s’interroger sur la place de la formation et sur ses modalités. "Il y a un risque, pour les structures d’accompagnement, d’une centration exclusive sur l’emploi" a-t-il noté. Le marché du travail étant plus ouvert, on peut obtenir des résultats quantitatifs supérieurs, mais pas forcément au service des priorités et de l’émancipation des personnes". En clair, l’enjeu est de réfléchir à des ingénieries de formation qui intègrent les personnes comme parties prenantes.

 

Quels critères de motivation pour les publics ? 

En tirant profit de ses travaux sur la mobilisation des publics et sur leurs critères de motivation, André Chauvet a identifié cinq éléments notables pouvant jouer sur cette motivation :

  • Une projection sur le court terme

Le concept de projet professionnel, qui implique de se projeter sur le long terme, est désormais vécu de manière anxiogène, en particulier depuis la crise du Covid. "Ce qui est très important pour les personnes, c’est de pouvoir se positionner sur quelque chose qui est mobilisateur pour elles, à une échéance qui est perçue comme accessible, à court et à moyen terme", a explicité André Chauvet. "C’est ce qu’on appelle le pas d’après. Cette temporalité est un facteur de mobilisation très fort."

  • L’utilité pour la personne

La personne s’engage à partir du moment où elle perçoit que c’est utile dans sa propre situation. Ce qui paraît utile aux formateurs ne l’est pas forcément pour les personnes.

  • La réversibilité

La personne a besoin de pouvoir essayer et de revenir à la case départ si ça ne fonctionne pas. Selon André Chauvet, "plus on insiste sur le fait que les personnes doivent être sûres de leur choix, plus on augmente le risque que le public, alors fragilisé, ait peur de s’engager et renonce".

  • La confiance

Il s’agit de ne pas mettre en doute la capacité de la personne à faire. "Si l’on va un peu plus loin, cela veut dire arrêter avec la conditionnalité, qui produit de la peur et du repli" a précisé André Chauvet. "Si on conditionne tout le temps le soutien apporté, le financement accordé, au fait que la personne soit à la hauteur, il y a un paquet de gens qui ne vont pas y arriver." En somme, il faut faire en sorte de mettre en place un environnement qui permette à la personne de convertir son potentiel en actions mobilisatrices.

  • La reconnaissance

Selon André Chauvet, la personne employée a besoin d’être reconnue comme quelqu’un qui a de la valeur et à qui on reconnaît cette valeur-là. "Et ce n’est pas juste de la pensée positive", précise-t-il. "Il s’agit simplement de mettre en place des dispositifs où la personne peut à la fois s’auto-évaluer, identifier des progrès, être fière de ce qu’elle accomplit."

 

Les pistes d’actions possibles pour les structures de formation

En conclusion de sa prise de parole sur cette thématique de la mobilisation des publics en formation, André Chauvet a préconisé quelques pistes d’action pour les structures de formation :

  • Opter pour l’expérientiel

André Chauvet invite à ne pas se focaliser uniquement sur la théorie : "Il est essentiel d’incorporer des expériences, d’être en contact avec le réel et d’agir en situation. C’est un moyen crucial de remobiliser les personnes dans le sentiment d’apprendre, pas forcément de se former."

  • Favoriser la réflexivité

Cette notion est notamment très présente dans l’Afest (Action de formation en situation de travail) et renvoie, selon André Chauvet, à ce concept assez simple : "Se confronter à des situations de travail réelles, difficiles ou pas, nous donnant la possibilité de verbaliser ce qui a été réalisé, d’échanger sur une situation, c’est aussi cela qui produit du développement."

  • Créer un environnement bienveillant

Les travaux menés sur le plan européen font apparaître que l’environnement de formation est crucial pour les personnes formées. "Considérer qu’il faut en baver pour y arriver, ce n’est pas toujours vrai", a estimé André Chauvet. Il y a des situations où on a absolument besoin de se sentir accueilli, de sentir de la relation sociale bienveillante, de sentir la capacité à être écouté et entendu. Un environnement apprenant, c’est d’abord un environnement propice à la dimension relationnelle, à la dimension d’écoute."

  • Faire en sorte que la personne n’ait pas l’impression d’apprendre en apprenant

L’idée est que pour que les gens se forment, il ne faut pas qu’ils aient l’impression que ce soit de la formation. André Chauvet préconise notamment d’incorporer de l’interaction, du jeu, de la multimodalité.

  • Revitaliser la pair-aidance

Selon le consultant en transitions professionnelles, plus les personnes peuvent donner, moins elles ont le sentiment d’être tout le temps accompagnées. "Certaines personnes en ont ras-le-bol d’être aidées, soutenues, diagnostiquées", a relevé André Chauvet, avant de conclure : "Inventons des situations où toutes les personnes, quelle que soit leur situation, soient en capacité d’agir pour un monde commun, où tout le monde peut avoir sa place, et dans un monde où chacun peut vivre de manière digne."

 

Cariforef des Pays de la Loire, octobre 2023