Lu pour vous "Mobilité, la fin du rêve ?"



Dans une collection qui introduit bien le propos ("L’urgence du sens"), le sociologue Éric Lebreton, analyse comment notre société est passée d’une mobilité désirée, synonyme de liberté, dans les années 50, à une mobilité vécue aujourd’hui comme une contrainte, nécessaire mais génératrice d’inégalités.

    

La mobilité : part historique du pacte du progrès social

Dans les années 50 puis les 30 glorieuses, la mobilité est associée au progrès social. Elle accompagne la modernisation de la société (réalisation de grandes infrastructures qui entraine un mouvement culturel, intellectuel, politique et économique), favorise l’individualisation et la liberté qui ouvrent vers de nouveaux horizons.

L’élargissement du spectre de mobilité (essor de la voiture) permet de s’émanciper des "territoires de proximité" (communautés de quartier ou de village), mais s’accompagne également d’un allongement des distances domicile-travail. Ainsi, "à peine émerge-t-elle des transformations sociales que la mobilité assigne à chaque groupe un espace particulier". Pourtant, le pacte de progrès social qui l’accompagne, "la rend acceptable et en fait une injustice relative".

Les années 80 marquent une rupture : le pacte de progrès social se défait, le monde du travail se transforme, les représentations de la mobilité changent.

Reste une injonction vague et impérative, qui se porte sur l’individu lui-même : bouger, être mobile. "La force de la personne se mesure à sa dilatation à l’échelle de territoires plus ou moins grands sillonnés plus ou moins vite".

 

Territoires partitionnés

Dès 1975, l’emploi et la croissance économique se concentrent dans les grandes agglomérations (métropoles dynamiques s’appuyant sur des emplois stratégiques). Parallèlement, les armatures métropolitaines se constituent et se renforcent, permettant des déplacements efficaces d’une métropole à l’autre. Les centres de ces métropoles, comme les armatures qui les relient font sans cesse l’objet d’innovations de mobilité, au détriment des autres territoires.

L’étalement du périurbain hiérarchise les couronnes d’agglomérations qui se déploient à plusieurs dizaines de kilomètres des centres villes, générant une "exhurbanisation", "un mode de vie dans lequel la fréquentation de la ville est rare".

Les territoires ruraux peu denses concentrent 1/3 des habitants du territoire métropolitain. Les services y sont moins accessibles, la population globalement plus âgée et moins qualifiée, la situation de l’emploi plus compliquée.

Enfin, de leur côté, les petites agglomérations de moins de 50 000 habitants, si elles ne sont pas toutes en difficulté, peuvent cumuler certains handicaps (isolement, marché de l’emploi difficile, activité économique des centres-villes en déclin).

 

Population segmentée

Dans ce paysage divisé, l’auteur, Eric Lebreton, identifie trois groupes mobilitaires.

Les métropolitains, chefs d’entreprises, créatifs ou cadres, évoluent dans un espace large et rapide de niveau national et international. Ils baignent dans une mobilité intense et jouissent au quotidien de ressources servicielles qui facilitent cette mobilité.

Les navetteurs, sont des actifs qui exercent dans des secteurs et des positions intermédiaires variées. Ils gravitent dans un seul bassin de vie, urbain ou rural. "Leurs pratiques mobilitaires sont structurées par les navettes pendulaires entre le domicile et le travail". La voiture y tient une place prépondérante.

Les insulaires regroupent les deux à trois Français sur dix qui vivent "des situations de mobilité restreinte et contrainte" (jeunes ruraux, travailleurs précaires, personnes en situation d’exclusion sociale et professionnelle…). Or, la mobilité étant un préalable à l’accès aux autres droits, ceux-ci s’en trouvent limités ou privés.

 

Dans cette mobilité désormais souvent considérée comme une contrainte, la difficulté consiste à maintenir une cohérence identitaire. Cette problématique interroge également notre représentativité dans ces différents espaces (lieu de vie, lieu de travail, lieu de mobilité…), à quoi s’ajoute désormais la mobilité virtuelle.

 

 

Cariforef des Pays de la Loire, septembre 2019

Quelques références documentaires disponibles au centre de ressources